A bien y regarder, la situation actuelle semble plutôt bonne à plusieurs égards.
La croissance économique est encore au rendez-vous même si elle soulève de multiples interrogations et devrait demeurer un facteur de soutien pour les marchés financiers. Les prévisions anticipées dans les grandes zones sont satisfaisantes.
Au niveau mondial, le consensus table sur une croissance de 2,6% cette année et 2,5% en 2020. Historiquement, le seuil de 2,5% est important car en dessous de ce niveau, les entreprises européennes très tournées vers l’international éprouvent de grandes difficultés à faire croitre leurs profits.
            La croissance économique et l'inflation

Les enquêtes menées auprès des directeurs d’achats montrent une véritable inflexion dans le segment manufacturier, suggérant une contraction de l’activité à l’avenir. Cette évolution pousse à sonder l’existence d’une récession industrielle qui constituerait un signe avant-coureur d’une récession plus générale. Cependant, une vision alarmiste de la situation est à relativiser en l’état actuel des choses. Tout d’abord l’industrie ne représente pas toute l’économie des pays occidentaux. D’ailleurs pour beaucoup, les indices composites qui donnent une image de la santé de l’industrie et des services se situent encore à un niveau d’expansion, à l’exception de l’Allemagne.
Qui plus est, plusieurs récessions industrielles sont survenues par le passé qui n’ont pas eu d’effet de contagion généralisé.

Quelle lecture donner à l’inversion de la courbe des taux (singulièrement les taux à dix ans qui passent en dessous des taux à deux ans) ?

Sur un plan historique, l’observation d’une telle inversion, notamment aux Etats-Unis, était suivie d’une récession. Pour autant, cette réalité ne s’est vérifiée de manière systématique qu’outre Atlantique. Il n’en est pas de même en Europe ou en Asie.
Par ailleurs, l’utilité de cette inversion pour les investisseurs comme signal d'alerte est très limitée. Le timing qui sépare l’apparition de cette inversion et la concrétisation de perturbations sur les marchés financiers est assez flou. Depuis la seconde guerre mondial, aux Etats-Unis, l’intervalle de temps moyen est estimé à un an et demi, avec des variations sensibles entre le milieu des années 1980 (environ 2 mois) et la fin des années 1990 (plus de 2 ans).
Le caractère prédictif de cette inversion est d’autant moins pertinent si l’on retient que les Etats-Unis connaissent le cycle économique le plus long de leur histoire et qu’à ce titre un retournement prochain n’est évidemment pas à exclure.

Les prix des matières premières ne constituent pas une menace.

Dans le passé, les matières premières ont souvent été l’une des menaces qui a pesé sur la croissance économique. Tel ne devrait pas être le cas cette fois-ci.
Depuis plusieurs années, les prix de nombreuses matières premières restent dans des bornes de variations plutôt constantes, loin des envols et des effondrements connus dans le passé.          
             Production américaine de pétrole brut 

Une grande peur a été dénotée il y a quelques jours à propos du pétrole saoudien qui s’est dissipée assez rapidement. Un mouvement haussier de 7 écarts type sur le prix de l’or noir a été constaté sur une journée qui a été annulée la semaine suivante.
Des modifications profondes du paysage productif contribuent à modifier les grands équilibres en jeu sur le marché de l’offre et de la demande en pétrole, à savoir le fort développement du pétrole de schiste aux Etats-Unis. En conséquence, une sensibilité différente à la géopolitique à celle perçue ces dernières années est à escompter.

Les bénéfices progressent sur la plupart des grands marchés mondiaux.

                   Bénéfices et valorisations 

Les bénéfices pris en compte le plus généralement par les investisseurs sont les bénéfices par action après impôt sur les sociétés.
Si les bénéfices 2019 sont révisés à la baisse depuis le début de l’année sur tous les grands marchés, proches de zéro, en cohérence avec les révisions de la croissance économique ; en revanche, les attentes bénéficiaires sur 2020 restent très positives.

Les conditions financières sont très accommodantes pour les agents économiques.

D’une manière générale, les taux nominaux des grandes économies occidentales n’ont jamais été aussi faibles depuis le début du vingtième siècle. Les taux négatifs sont désormais devenus monnaie courante en zone euro comme au Japon et représentent désormais le quart des obligations investment grade, dites de bonne qualité.                         
Charge de la dette dans les économies occidentales.
Secteur privé non financier.



Le maintien des taux d’intérêt à des niveaux très bas permet notamment aux entreprises de tous types de s’endetter à moindre coût. Le service de la dette est maintenu à un niveau particulièrement faible.



Dans ce panorama général, de nombreuses zones d’ombre sont tout de même à mentionner.
Tout d'abord, il existe d’autres manières de mesurer les bénéfices qui ne donnent pas une vue aussi favorable que celle qui concerne les sociétés cotées.

Selon la comptabilité nationale aux Etats-Unis qui mesure les chiffres agrégés pour l’ensemble des entreprises -multinationales, PME, petits commerces- quel que soit le nombre d’actions en circulation, les bénéfices stagnent depuis 7 ans.

Les marges bénéficiaires mesurées par cette même comptabilité nationale, apparaissent aussi sous pression depuis 2013. Après avoir atteint un pic de 12%, le niveau agrégé est descendu en dessous de 10%.

Après la tentative échouée de la Fed, on peut se demander si le monde n’est pas devenu addict à la liquidité des banques centrales et si l’on sait vraiment sortir du QE (Quantitative easing = rachat massif d'actifs financiers sur les marchés) ?
Le bilan de la Banque centrale du Japon a atteint 100% du PIB national, celui de la Banque centrale européenne 40% du PIB de la région.
Le bilan de la Réserve Fédérale américaine est passé en dessous de 20% après son fléchissement amorcé en 2014. Toutefois, à peine entamée la réduction de son bilan, la Fed a dû l'interrompre en raison des tensions sur le marché monétaire et consécutivement aux pressions exercées par l’exécutif américain.
Toutes les grandes Banques centrales poursuivent aujourd’hui l’expansion de leur bilan.

Cette politique ultra accommodante des Banques centrale alimente un excès d’endettement notamment dans les pays émergents... 

De fait, la quasi-totalité des secteurs de l’économie ont constamment accru leur endettement ces dernières années. La dette des entreprises avoisine 88% de l’ensemble de la dette dans les pays de l’OCDE, en stock.
La hausse de l’endettement dans les économies émergentes est encore plus impressionnante en particulier au sein des entreprises non financières en Chine.
Il est à se demander quelles seraient les conséquences pour la charge de la dette d’une hausse significative des taux d’intérêt ?
Une problématique qui peut se révéler d’autant plus aigüe que du fait de son insertion dans certains grands indices actions et obligations, la Chine n’est plus aussi isolée qu’elle ne l’était auparavant. Les éventuelles perturbations ne seront donc pas aussi confinées que par le passé.

Une bulle est suspectée dans l’immobilier et le private equity ?

Pour certaines industries, les taux bas représentent une subvention.
Logement, bureaux ou logistique, l’immobilier comporte une composante obligataire : toutes choses égales par ailleurs, la baisse des taux fait progresser les prix.
Après près de quarante ans de baisse des taux dans les principales économies occidentales, la notion de baisse des prix de l’immobilier reste exotique pour nombre d’investisseurs.
Particuliers comme professionnels cherchent à accroître leurs investissements immobiliers.             
                     
 Prix du logement et Bourse 


Du fait de la faiblesse des taux d’intérêt, un fort rebond des arrivées de capitaux dans le private equity s’est concrétisé, de plus de 10%.
L’accumulation de liquidés dans ces fonds de capital investissement les a conduit à s’intéresser au financement de plus grandes sociétés non cotées surnommées « licornes », valorisées à plus d’un milliard de dollars dans les comptes internes.

 Premières capitalisations dans l'indice Prime Unicorn

Ces «licornes » ne sont pas valorisées en temps réel mais au fur et à mesure des levées de fonds, ce qui explique des bonds de valorisation. A chaque fois qu’un nouveau round de financement intervient, la valorisation de la licorne est gonflée.

Il est intéressant de relever que récemment WeWork Cos, une entreprise qui fait du coworking, évaluée à plus de 49 milliards de dollars dans les comptes de son principal actionnaire n’est pas parvenue à se coter en bourse car le marché avait fortement revu à la baisse le prix de l’action émise, conférant à la société une valorisation de près de  20 milliards de dollars. 

Pour d’autres acteurs, la politique monétaire constitue une répression financière. Parmi ces derniers les compagnies d’assurances et les fonds de pension.
Les assureurs sont en recherche structurelle de rendement. Dans bien des cas, ils sont tenus de servir sur leurs contrats vie des rendements minimaux disproportionnés aux rendements actuellement disponibles sur les marchés.
Dans certains pays, comme l’Allemagne, on retrouve des taux garantis supérieurs à 2,5%.

Dernièrement, la CEO du plus grand fonds de pension néerlandais a mis en garde sur les difficultés résultant des taux d’intérêt négatifs qui diminuent les avoirs et augmentent les engagements à honorer. Le Parlement néerlandais s’est rapproché des autorités européennes et notamment de la Banque centrale européenne pour revoir la politique de taux d’intérêt face à la menace de devoir diminuer fortement les retraites à verser.
            Poids des obligations à rendement négatif



En raison des normes réglementaires, ces acteurs se sont inscrits dans un véritable cercle vicieux… Plus les taux baissent, plus ils sont contraints à acheter des obligations pour « dérisquer » leur portefeuille, et plus ils accentuent leurs difficultés à honorer leurs engagements.


Les investissements productifs restent très faibles…

    Utilisation des bénéfices des societes du S&P 500
Aux Etats-Unis, les quinze dernières années ont été marquées par une inversion