Barnard MAROIS

Bernard Marois
Président d'honneur

Diplômé d'HEC, MBA de l'Université Columbia de New-York et docteur en sciences de gestion. Il est actuellement professeur au Groupe HEC.

Il a publié de nombreux ouvrages et écrit régulièrement dans des revues spécialisées.

Il est spécialiste de finance internationale et consultant auprès de grandes banques.

L’EUROPE EN 2014 : CONSOLIDATION OU DISLOCATION

publié Mardi 11 Mars 2014

Depuis la chute du mur de Berlin en novembre 1989, l’Europe s’est unifiée sous la bannière de l’U.E. (Union Européenne). Désormais, seules la Norvège et la Suisse n’en font pas partie. Reste à fixer les frontières orientales : Ukraine et Turquie sont les bornes de cet ensemble continental. Leur adhésion future fait l’objet de polémiques compréhensibles : la dimension « européenne » de la Turquie est sujette à controverses ; quant à l’Ukraine, l’actualité récente a montré clairement qu’il y a une forte opposition à l’intérieur du pays entre une partie occidentale plutôt pro-européenne et une partie orientale très pro-russe.
Pour le reste, les autres Etats, à l’exception d’une partie des Balkans, font partie de l’Union Européenne. Mais, depuis plusieurs années, l’écart s’élargit entre les pays appartenant à la zone euro et les autres. En ce qui concerne les seconds (pays de l’U.E. non membres de la zone euro), ils se divisent en trois groupes :
- Le Royaume-Uni, de plus en plus tenté par une sortie de l’U.E. (apparition d’un parti anti-européen en plein essor, fixation d’un référendum sur le thème de la place du Royaume-Uni : dans ou en dehors de l’U.E., etc).
- Les deux pays scandinaves (Danemark et Suède) toujours très méfiants envers tout projet « fédéral », car très attachés à leur souveraineté.
- Les pays d’Europe Centrale et Orientale ayant retrouvé leur liberté après la chûte du communisme. Certains d’entre eux ont franchi le pas en rejoignant la zone euro (Slovaquie, Slovénie, Estonie et, récemment, Lettonie. Les autres sont tiraillés entre le souci de préserver leur indépendance chèrement acquise et l’envie de se mettre à l’abri du parapluie de l’euro. La Pologne est le meilleur exemple de ce dilemme : le pays connaît depuis quelques années une forte croissance, favorisée en partie par l’absence des contraintes imposées par l’euro. La Roumanie et la Bulgarie hésitent également à rejoindre la zone euro.
Il est clair que les difficultés qu’a connues la zone en 2011 et 2012 (crises grecques et espagnoles, en particulier) ont fortement refroidi l’ardeur de ces pays et ajourné leur entrée dans la zone euro. Globalement, les pays n’appartenant pas à la zone euro assistent d’une façon relativement passive à l’intégration économique progressive des Etats de la zone euro. En effet, ceux-ci ont choisi d’accélérer la mise en place d’un mécanisme de prévention et de traitement des crises financières (création d’un Fonds Européen de Stabilité, susceptible de réunir 500 milliards d’euros) et de bâtir une « Union bancaire » supervisée par la B.C.E.
Cependant, comme je l’ai indiqué dans mon précédent éditorial, la zone euro demeure hétérogène, malgré les espoirs d’une convergence espérée par les signataires du Traité de Maastricht. Il y a, d’un côté les pays de l’Europe du Sud, surnommés d’une façon caricaturale « Club Med », à savoir : la Grèce, le Portugal, l’Espagne et l’Italie ; on peut y adjoindre Chypre et Malte, la première de ces îles ayant d’ailleurs connue une violente crise bancaire en 2013. De l’autre côté, il y a l’Allemagne et les pays soumis à son influence directe (Benelux, Autriche et Slovaquie) ou indirecte (Finlande, Slovénie, Pays baltes). On a tendance à les regrouper dans un ensemble dénommé « l’Europe du Nord ». Reste deux pays relativement atypiques : l’Irlande et la France. Dans le premier cas, l’Eire, on se trouve en présence d’une économie fortement corrélée avec celle du Royaume-Uni et, en même temps, bénéficiant d’avantages fiscaux dignes d’un paradis fiscal (impôt sur les sociétés limité à 12,5 %), entre autres). La crise que ce pays a connue était liée essentiellement à une mauvaise supervision du secteur bancaire coupable de dérives dans le financement de l’immobilier, en particulier. En outre, l’île a vécu ces dernières années au-dessus de ses moyens, en raison de la bulle spéculative et de « l’effet richesse » qu’elle avait créé. Grâce à un programme de purge du secteur bancaire et de diminution des dépenses publiques, l’Irlande a pu sortir assez vite de sa situation d’endettement excessif et retrouver la croissance. Quant à la France, sur laquelle nous reviendrons ultérieurement, elle est en train de passer de l’Europe du Nord à l’Europe du Sud, dans la mesure où elle se désindustrialise rapidement et se refuse à engager les réformes structurelles indispensables au rétablissement de ses équilibres macro-économiques.
Globalement, les difficultés de l’Europe du Sud résultent d’un manque de compétitivité internationale dans un contexte d’euro fort. La seule façon de retrouver cette compétitivité-prix a été de procéder à une dévaluation « interne », provoquée par une baisse des salaires et une réduction des dépenses publiques. Si cette opération semble avoir réussie pour ce qui de l’Italie ou de l’Espagne, dont les balances courantes sont de nouveau positives, ce n’est pas le cas pour la Grèce et le Portugal, pour lesquelles la purge va continuer. Le problème de fond provient du fait que la zone euro est implicitement dirigée par l’Allemagne et ses « satellites » qui s’accommodent d’un euro fort et bénéficient de taux d’intérêt à long terme bas (avec une notation de crédit AAA/AA). C’est donc l’Europe du Sud qui doit faire l’effort de l’ajustement (baisse du déficit budgétaire et de l’endettement), dans un contexte de croissance presque nulle. Par comparaison, le Royaume-Uni, maître de sa monnaie, la livre, peut retarder la résorption de son déficit budgétaire (6 %) pour privilégier la croissance (2 % prévus pour 2014).
Et la France dans cet environnement ? En fait, nous allons cumuler tous les inconvénients : un euro fort, qui nous empêche de réduire notre déficit commercial, des taux d’intérêt bas qui nous incitent à attendre avant de procéder aux réformes indispensables, un déficit budgétaire qui ne se réduit pas, dans la mesure où les dépenses publiques ne diminuent pas (elles ne font que ralentir leur progression), alors que les recettes stagnent, malgré la croissance des taux de prélèvement (application de loi de Laffer : trop d’impôt tue l’impôt), une croissance très faible (0,6 % prévu en 2014), dans la mesure où les différents leviers de hausse potentielle (exportations, investissements, consommation) sont à l’arrêt.
Pour résumer, l’Union Européenne sera confrontée aux défis suivants, en 2014 :
- Arrêt probable de l’extension de l’Union au-delà des 28 pays qui la composent.
- Evolution incertaine du Royaume-Uni quant à son maintien dans l’Union au cours de prochaines années ;
- Pas de nouvel entrant dans la zone euro, qui restera composée de 18 Etats.
- Poursuite de la récession en Grèce et au Portugal, et danger d’y retomber pour l’Italie et l’Espagne.
- En conséquence, accentuation de l’opposition latente entre Europe du Nord et Europe du Sud, la première favorisant un retour rapide aux équilibres macroéconomiques, la seconde souhaitant un étalement dans le temps de ce retour.
- La France en passe de devenir un « pays du Sud », avec toutes les conséquences que cette situation entraînerait.
On voit donc que 2014 peut nous réserver, en ce qui concerne l’Europe, de nombreuses surprises, au titre de ces différents chapitres.

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