Barnard MAROIS

Bernard Marois
Président d'honneur

Diplômé d'HEC, MBA de l'Université Columbia de New-York et docteur en sciences de gestion. Il est actuellement professeur au Groupe HEC.

Il a publié de nombreux ouvrages et écrit régulièrement dans des revues spécialisées.

Il est spécialiste de finance internationale et consultant auprès de grandes banques.

La France au lendemain de l'élection présidentielle

publié Mercredi 06 Juin 2012

Les débats précédant le scrutin présidentiel ont porté sur deux catégories de questions ; des thèmes économiques, tels que le pouvoir d’achat ou le chômage, d’une part, et des problèmes de société : sécurité, immigration, d’autre part. Ceci étant, les débats ont bien montré que ces thèmes étaient interconnectés : ainsi, le devenir de l’immigration, au-delà des conséquences sociales, en terme d’intégration dans la société française, pose aussi un problème économique. Quel en est le coût (retombées négatives) et quelles en sont les aspects positifs (revenus fiscaux et contribution à une démographie favorable) ? De même, le maintien du chômage à un taux élevé entraîne des conséquences sociales (territoires plus défavorisés, donc risques d’explosions de mécontentement) et politiques (importance du chômage chez les jeunes). Pourtant, un thème essentiel a été pratiquement oublié pendant la campagne : « la compétitivité » de l’économie française. Celle-ci s’est fortement détériorée, par rapport à nos principaux concurrents depuis 10 ans.

A titre d’illustration, les coûts de production français ont augmenté d’environ 20% par rapport aux coûts allemands. Les raisons en sont largement connues : les 35 heures, la hausse des cotisations sociales, des efforts insuffisants en matière de recherche et de développement. Les conséquences en sont dramatiques : délocalisations industrielles accélérées, hausse du déficit commercial (70 millions d’euros, soit environ 2,5% du PIB !) Or ce manque de compétitivité est une cause directe de la faiblesse de notre croissance (second thème un peu oublié dans les débats présidentiels). Il faut le répéter une fois de plus : nous n’arriverons à mener à bien le processus de désendettement public que si nous maintenons un certain niveau de croissance. L’exemple des pays européens les plus touchés par la crise, à savoir la Grèce, le Portugal, l’Espagne et l’Italie démontre clairement que l’austérité et donc la récession qui l’accompagne (-5,5% pour la Grèce en 2011 ; -1,6 prévu en 2012 pour l’Espagne et -1,9% pour l’Italie dans le même temps) empêchent toute réduction de la dette publique, dans la mesure où l’absence de croissance (et donc de recettes fiscales substantielles) conforte le déficit budgétaire et entretient la spirale d’augmentation de l’endettement publique.

Pourquoi ce sujet brûlant n’a t’il pas été abordé au cours de la campagne présidentielle ? En grande partie, parce que les électeurs ne perçoivent pas malheureusement l’importance de ce thème. Rappelons que seulement 30% des Français sont favorables à l’économie de marché, alors que tous les autres pays se situent aux alentours de 60% -70% ! Les électeurs semblent majoritairement souhaiter : plus d’Etat, car cela implique une plus grande protection, « moins de libre-échange » (rebâtissons des frontières, quittons l’espace Schengen, renégocions les traités européens) etc. Bref, c’est le repli sur l’hexagone qui est considéré comme le mot d’ordre général. Or, l’histoire nous enseigne que cela ne fonctionne pas. Nous l’avions déjà expérimenté en 1981, quand Mitterrand, à l’encontre du reste du monde qui se tournait vers la privatisation de l’économie et la réduction des coûts, a lancé la France dans l’utopie (vagues de nationalisation, semaine de 39 heures, hausse des impôts) jusqu’en 1983, où la réalité est revenue s’imposer en force. Malgré cette expérience malheureuse, les Français sont, semble t’il, prêts à « remettre le couvert », allant à l’opposé du reste du monde. Ainsi, au même moment, la Grand Bretagne de Cameron décide de privilégier la croissance (baisse des impôts, réindustrialisation), tout en pratiquant des coupes sévères dans la dépense publique. C’est ce type de politique dont il faut s’inspirer : il faut créer de la richesse, avant de vouloir la distribuer. La France a voulu pendant trop longtemps (30 ans) favoriser la demande, en distribuant artificiellement du pouvoir d’achat, dont une partie croissante contribue à accroître nos importations. Les gouvernements successifs se sont donc désintéressés de l’offre et de ses contraintes (améliorer la productivité des entreprises françaises, favoriser l’investissement à long terme, aider les exportations, renforcer la formation « professionnelle).

Sans une croissance qui perdure, la France ne pourra pas se désendetter ; pire, elle devra emprunter pour financer un déficit budgétaire qui sera résiliant, car les dépenses publiques dépasseront toujours les recettes fiscales, « anémiées » en période de stagnation économique. Pour conclure, on peut dire que l’erreur fondamentale de notre politique économique est de vouloir entamer le processus de mise en œuvre en répondant à la question : « comment augmenter le pouvoir d’achat et diminuer le chômage », alors que la bonne question à poser est : comment rétablir la compétitivité de la France et, en conséquence, les moyens de la croissance économique ». Alors la baisse du chômage et l’augmentation de pouvoir d’achat en découleront naturellement.


Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC Paris
Président d’Honneur du Club Finance HEC


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