L’évaluation des actions
Pour évaluer les niveaux des valorisations boursières, les praticiens et académiciens de la finance font souvent référence à trois méthodes :
1. les ratios PER (price earnings ratio ou ratio prix-bénéfice) ;
2. la méthode du modèle de dividendes ;
3. le q de Tobin qui rapporte la valeur de marché d’une entreprise au coût de remplacement de ses actifs.
Aucune de ces méthodes ne permet véritablement de prendre en compte à la fois les exigences des actionnaires (en termes de rendement), la réalité du patrimoine des entreprises (réévalué à sa juste valeur) et l’efficacité de ces dernières (en termes de taux de marge).
De nombreux facteurs peuvent expliquer les fluctuations boursières. Outre une évolution des grandeurs fondamentales des entreprises (taux de marge, taux de croissance), ou une mauvaise appréciation économique de ces grandeurs par les agents (cf. Shiller, «irrational exuberance»), une modification du rendement exigé des actions peut induire des fluctuations boursières durables. Ce rendement exigé s’écrit comme la somme du taux d’intérêt sans risque et de la prime de risque.
1. Les PER
Les PER (price earning ratio) ou ratio prix/bénéfice par action sont les indicateurs les plus regardés lorsque l’on cherche à savoir si les marchés boursiers sont correctement évalués. En pratique, deux types de PER peuvent être calculés selon le type de bénéfices retenus dans le calcul :
- des PER historiques qui utilisent soit le bénéfice comptable (reported earnings) par les entreprises soit les résultats opérationnels (operating earnings : hors opérations exceptionnelles). Pour éviter la forte pro-cyclicité des résultats affichés par les entreprises, il est préférable de lisser les bénéfices en calculant des moyennes mobiles sur un an ou plus. Une méthode couramment utilisée est celle reprise par Shiller qui utilise un moyenne longue sur 10 ans.
- des PER prospectifs qui utilisent le bénéfice anticipé à un horizon donné (généralement à 1 an comme, au delà de cet horizon les prévisions sont trop peu fiables) ;
Le PER indique combien un investisseur est prêt à payer pour chaque euro de bénéfice (courant ou anticipé) généré par une entreprise ou un ensemble d’entreprises.
La difficulté est de définir un PER « d’équilibre » auquel comparer le PER observé. Il n’existe pas de méthode systématique. Les praticiens ont recours à plusieurs méthodes pour l’évaluation.
L’une de celles-ci consiste à utiliser les valeurs historiques moyennes comme référence. Par exemple, l’on observe que sur très longue période, la moyenne du PER du S&P 500 s’élève à 15 (avec un écart type de 6,4) et que pour les marchés français et européens, les moyennes historiques des PER sont de respectivement 13 et 14 depuis 1974, pour un même écart-type de 4,5. Un écart à ces moyennes pourrait significatif à ces niveaux moyens historiques peut alors présager d’un retour à la moyenne par un ajustement des cours boursiers.
2. Le modèle de croissance des dividendes (modèle de Gordon-Shapiro)
Le modèle dit de «croissance des dividendes» s’établit à partir de la valeur fondamentale d’une action. Son application la plus simple est le modèle de Gordon-Shapiro.
En théorie financière, le prix d’une action (ou d’un portefeuille d’actions) correspond à la valeur actualisée de l’ensemble des flux de paiements anticipés qu’elle versera (plus la plus/moins value anticipée lors de la revente du titre). Ces flux de paiement correspondent aux dividendes versés (les gains en capital sont négligeables) si l’on suppose (i) l’absence de « bulle » et (ii) le titre détenu indéfiniment ou conservé sur une période suffisamment longue.
, (1)
avec les dividendes, Rt les taux d’actualisation utilisés par les investisseurs (le coût du capital) et Et(.) l’opérateur espérance mathématique en t.
Sous les hypothèses supplémentaires suivantes :
- (iii) taux de croissance du dividende constant
- (iv) prime de risque constante
- (v) taux d’actualisation unique,
on obtient la formule de Gordon-Shapiro :
, (2)
où R est le taux d’actualisation ou le rendement exigé par les actionnaires (avec ).
Le modèle de Gordon-Shapiro s’écrit donc très simplement :
ou , (3)
La simplicité de la formule de Gordon Shapiro lui vaut d’être largement utilisée. Le modèle nécessite en effet de ne connaître que trois grandeurs fondamentales:
- les dividendes ;
- le taux de croissance des dividendes anticipé à long terme. La proxy couramment utilisée est le taux de croissance à long terme du PIB ; Historiquement, la croissance des résultats des entreprises en termes réels suit la productivité (PIB par tête). La croissance du PIB par tête ne devrait constituer qu’une borne supérieure du fait du phénomène de dilution de capital inhérent à la création de nouvelles entreprises et au financement de l’activité (émissions d’actions nouvelles).
- le taux d’actualisation des actionnaires. L’évaluation de ce paramètre est la plus problématique puisqu’elle incorpore la prime de risque exigée p, qui n’est bien sûr pas observable.
3. Le q de Tobin
Tobin [1969] définit le ratio de Tobin (ou q de Tobin) comme étant le rapport de la valeur de marché d’une société sur la valeur de son capital (au coût de renouvellement). Ce ratio est une bonne mesure de la valorisation que font les marchés des investissements de l’entreprise et semble posséder un pouvoir prédictif de l’investissement.
L’idée de Tobin est la suivante : les entreprises investissent jusqu’à ce que l’accroissement de la valeur de la firme consécutif à l’augmentation d’une unité de capital soit égal au coût de cette dernière unité de capital. Si le marché boursier est efficient, la valeur de marché de l’entreprise représente bien la somme actualisée des profits présents et futurs de l’entreprise. Sous cette hypothèse, une valeur boursière de l’entreprise supérieure à son stock de capital (i.e. un q de Tobin supérieur à 1) indique que le marché anticipe que l’investissement est rentable.
Cependant, sur le marché boursier, seul un q moyen est observable (rapport de la valeur boursière au stock de capital en place) alors qu’il faudrait étudier l’accroissement de la valorisation boursière lié à un accroissement envisagé du stock de capital (q marginal). Les comptes de patrimoine issus de la comptabilité nationale fournissent les données nécessaires pour calculer un q moyen de Tobin.