Barnard MAROIS

Bernard Marois
Président d'honneur

Diplômé d'HEC, MBA de l'Université Columbia de New-York et docteur en sciences de gestion. Il est actuellement professeur au Groupe HEC.

Il a publié de nombreux ouvrages et écrit régulièrement dans des revues spécialisées.

Il est spécialiste de finance internationale et consultant auprès de grandes banques.

LA FRANCE ET SES DEUX DEFICITS

publié Lundi 09 Septembre 2013

Cela ressemble à une fable de La Fontaine, mais s’avère pourtant bien réel : notre pays n’arrive pas à résorber ses deux déficits jumeaux : le déficit public et le déficit commercial. En ce qui concerne le premier, le déficit public, rappelons qu’il a atteint 4,8 % en 2012 et devrait encore dépasser 3,9 % en 2013 (hypothèse optimiste, compte tenu d’une croissance prévisionnelle ramenée de 0,8 % à 0,1 % du PIB). C’est mieux que l’Espagne (-7 % du PIB en 2012) ou le Portugal (-6,6 % en 2012), mais moins bien que les Pays-Bas (-4,1 %), la Belgique (-3,8 %) et même l’Italie (-2,9 %), sans parler des pays vertueux, comme la Finlande (-1,8 %) et bien sûr l’Allemagne (-0,2 %). Ce déficit viendra mécaniquement augmenter notre endettement public, qui passera à 93,2 % en 2013, soit plus que l’Allemagne (80,8 %) ou a fortiori la Finlande (54,7 %) mais plus aussi que l’Espagne (92,7 %). Seul, parmi les grands pays européens, l’Italie fait moins bien (dette publique estimée à 127,6 % en 2013 ).

Dans ce contexte, nous bénéficions d’un atout inespéré : la baisse des taux d’intérêt, actuellement inférieurs à 2 % pour les O.A.T. (obligations de l’Etat français, à 10 ans), ce qui est un record historique depuis 1945. Cette baisse s’explique essentiellement par une diminution continue depuis 5 ans du taux de l’euro à court terme (l’euribor à 3 mois est descendu à environ 0,2 % !) et par une inflation contenue en dessous de 2 %. De ce fait, bien que notre dette ait été multipliée par 3,5 depuis 1990, la charge financière de cet endettement est restée stable, grâce à la baisse des taux d’intérêt. Si ceux-ci reprenaient le chemin de la hausse, ils induiraient un coup d’arrêt à la baisse de notre déficit public, avec, à la clef, une augmentation encore plus rapide de notre taux d’endettement.

Comme nous l’avons indiqué dans un précédent éditorial, la solution ne réside évidemment pas dans une hausse des prélèvements, déjà à un niveau record (près de 46 % en 2013, soit plus de 7 points au-dessus de la moyenne européenne), mais dans la baisse des dépenses publiques, qui dépasseront les 56 % cette année, 10 points de plus que la moyenne européenne. En outre, la part excessive du secteur public en France entraîne une allocation des ressources financières sous-optimale, qui rejaillit sur notre compétitivité internationale.

C’est donc notre second boulet : le déficit commercial. Nous distinguerons la compétitivité intra-zone euro de la compétitivité extra-zone euro. Sur la première, nous sommes en concurrence, pour beaucoup de secteurs, avec les autres pays de la zone. Or, ces pays ont fait d’énormes efforts depuis quelques années, pour améliorer leur compétitivité, essentiellement par « dévaluation interne », c’est-à-dire baisse du coût salarial. Ainsi en Espagne, les salaires 2013 sont inférieurs aux salaires 2008 et le revenu réel a baissé de 12 % sur cette période. On constate les mêmes phénomènes en Irlande (baisse des salaires de 20 %), au Portugal ou en Italie. En conséquence, les entreprises de ces pays ont pu retrouver des marges bénéficiaires, qui leur permettent d’investir et, parallèlement, de baisser leurs prix de vente. Depuis 15 ans, les prix de revient des produits français ont augmenté plus vite que les prix de vente, alors que le taux de productivité par tête tombait en dessous de 1 %. En conséquence, la marge d’exploitation ne représente que 28 % de la valeur ajoutée en France, contre 38 % en Allemagne et 33 % pour la moyenne européenne. Dans ces conditions, on assiste à une diminution progressive des parts de marchés des entreprises françaises dans la zone euro. En ce qui concerne le commerce hors zone euro, les entreprises françaises, sont en plus victimes de la surévaluation de l’euro. Depuis 6 mois, la « guerre des monnaies » s’est amplifiée. Par exemple, le yen a baissé de 30 % depuis le début de l’année, ce qui inquiète même les Allemands qui sont en concurrence frontale avec les Japonais dans le secteur des biens d’équipement. Plus généralement, les monnaies asiatiques (yuan chinois, won coréen) sont manipulées par leurs banques centrales, qui disposent d’une plus grande capacité d’action, que la B.C.E. Même les Américains, bien qu’ils s’en défendent, favorisent une baisse du dollar, en autorisant la Fed a pratiqué une politique monétaire bienveillante.

Dans ce contexte, il sera très difficile de rééquilibrer notre balance commerciale. Notre déficit actuel, de l’ordre de 65 à 70 milliards d’euros représente plus de 4 % du PIB, ce qui est inquiétant (ce déficit devant être financé, soit pas une vente d’actifs français, soit par des emprunts). En décembre 2012, les exportations françaises ne représentaient plus que 22 % du PIB, contre 45 % pour l’Allemagne et 25 % pour l’Italie, qui a fait des efforts méritoires pour améliorer sa balance commerciale. La hausse des prélèvements a frappé directement la consommation, dont le taux de progression est désormais négatif. Le secteur « investissements » connaît également une décroissance. Dans la mesure, où nous ne pourrons pas compter sur nos exportations pour compenser ces baisses, on ne voit pas d’où peut venir la croissance économique française en 2013 ! Or, sans croissance, rien n’est possible. La traversée du désert va continuer quelques temps…

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